Le déchet
« C’est un petit appartement dont la porte d’entrée débouche sur une cuisine placée le long du mur gauche. L’évier déborde de vaisselle sale où une nouvelle forme de vie est vraisemblablement en train de se développer. À côté du plan de travail, une porte vitrée donne sur un balconnet, offrant un joyeux spectacle de klaxons et de pollution. Nous sommes en plein centre-ville.
Perpendiculaire à la cuisine, un vieux canapé brun – sans doute ramassé dans la rue ou récupéré de seconde main – trône fièrement au milieu de la pièce. Une telle proximité avec le frigo rend les choses plus aisées. Le sol carrelé est jonché de cannettes de bières, de bouteilles d’alcool et de restes alimentaires. Partout, ce n’est que crasse et déchéance, les piles de linge sale jeté en vrac s’accumulent de ci, de là, et les pièces sont parfois agrémentées d’un peu de vomi de chat. Depuis combien de temps cet appartement n’a-t-il plus été ni rangé ni nettoyé ?
Mais c’est sur le canapé que se trouve le pire des déchets. Un déchet humain, désabusé, les joues humidifiées par les larmes et le regard vitreux, ayant perdu tout espoir. Un déchet qui passe sa vie allongé, l’esprit annihilé par l’alcool, ne se levant que pour répondre aux besoins les plus primaires – uriner, déféquer, s’alimenter. Ça pue le fauve, le moisi, le renfermé, quelle importance ?, de toute façon, il y a bien longtemps que je me suis coupée du monde, que je ne vois plus personne, que j’ai jeté l’éponge et que la société en a fait de même avec moi. Je ne me pose plus de question, je subis, je bois et j’oublie en attendant que la vie passe, pauvre alcoolique ayant plongé bien trop profond dans le gouffre du laisser-aller que pour pouvoir un jour remonter à la surface… »
2021